Unité de la politique et de la morale

Unité de la politique et de la morale (extrait court)

Si les politiques étaient moins aveuglés par leur ambition, ils verraient combien il est impossible qu'aucun établissement quel qu'il soit, puisse marcher selon l'esprit de son institution, s'il n'est dirigé selon la loi du devoir ; ils sentiraient que le plus grand ressort de l'autorité publique est dans le coeur des citoyens, et que rien ne peut suppléer aux moeurs pour le maintien du gouvernement. Non seulement il n'y a que des gens de bien qui sachent administrer les lois, mais il n'y a dans le fond que d'honnêtes gens qui sachent leur obéir.

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'économie politique

Unité de la politique et de la morale (extrait long)

Voulez-vous, que la volonté générale soit accomplie ? Faites que toutes les volontés particulières s'y rapportent ; et comme la vertu n'est que cette conformité de la volonté particulière à la générale, pour dire la même chose en un mot, faites régner la vertu.

Si les politiques étaient moins aveuglés par leur ambition, ils verraient combien il est impossible qu'aucun établissement quel qu'il soit, puisse marcher selon l'esprit de son institution, s'il n'est dirigé selon la loi du devoir ; ils sentiraient que le plus grand ressort de l'autorité publique est dans le coeur des citoyens, et que rien ne peut suppléer aux moeurs pour le maintien du gouvernement. Non seulement il n'y a que des gens de bien qui sachent administrer les lois, mais il n'y a dans le fond que d'honnêtes gens qui sachent leur obéir.

Celui qui vient à bout de braver les remords, ne tardera pas à braver les supplices ; châtiment moins rigoureux, moins continuel, et auquel on a du moins l'espoir d'échapper ; et quelques précautions qu'on prenne, ceux qui n'attendent que l'impunité pour mal faire, ne manquent guère de moyens d'éluder la loi ou d'échapper à la peine. [...].

Dans une pareille situation, l'on ajoute vainement édits sur édits, règlements sur règlements. Tout cela ne sert qu'à introduire d'autres abus sans corriger les premiers. Plus vous multipliez les lois, plus vous les rendez méprisables : et tous les surveillants que vous instituez ne sont que de nouveaux infracteurs destinés à partager avec les anciens, ou à faire leur pillage à part. Bientôt le prix de la vertu devient celui du brigandage : les hommes les plus vils sont les plus accrédités ; plus ils sont grands, plus ils sont méprisables ; leur infamie éclate dans leurs dignités, et ils sont déshonorés par leurs honneurs. S'ils achètent les suffrages des chefs ou la protection des femmes, c'est pour vendre à leur tour la justice, le devoir et l'état ; et le peuple qui ne voit pas que ses vices sont la première cause de ses malheurs, murmure et s'écrie en gémissant : « Tous mes maux ne viennent que de ceux que je paye pour m'en garantir. »

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'économie politique