La joie permanente, seul but de la vertu

Quelles vérités philosophiques peuvent être plus avantageuses pour la société que celles exposées ici qui représentent la vertu sous ses charmes les plus vrais, les plus engageants et nous la font approcher avec facilité, familiarité et affection ? La robe lugubre dont l'ont affublée beaucoup de théologiens et certains philosophes tombe enfin et tout ce qu'on voit n'est que douceur, humanité, bonne volonté, affabilité et, disons le, quand il convient, jeu, divertissement et gaieté.

Elle ne parle pas d'inutile austérité, rigueur, souffrance et abnégation. Elle dit que son seul but est de rendre si possible tous ses fidèles, et l'humanité tout entière, joyeux et heureux à chaque moment de leur existence. Elle ne se sépare jamais de bon gré du plaisir sinon pour espérer d'amples compensations à d'autres périodes de leur vie. Sa seule exigence est un juste calcul et une préférence sans faille pour le plus grand bonheur. Et si ses prétendants austères l'approchent, ennemis de la joie et du plaisir, elle les repousse comme hypocrites et trompeurs, ou si elle les admet à sa cour, elle les traite comme les moindres de ses fidèles.

David Hume (1711-1776), Enquête sur les Principes de la Morale