Logique de la dépression

Le dépressif explique en général ses raisons d'être toujours malheureux, et même de ne plus vouloir vivre encore il lui est arrivé tel et tel malheur, et le monde est affreux dans son ensemble. Le problème est que d'autres ont vécu les mêmes choses et n'en sont pas tristes à jamais pour autant. Ce n'est donc pas pour ces motifs qu'il est dépressif, mais c'est parce qu'il est dépressif que ces motifs l'accablent.

Ici, deux explications de la dépression nerveuse s'affrontent. Les psychologues, et tout particulièrement les psychanalystes, optent pour une théorie en un sens spiritualiste : ils pensent que la cause en est un traumatisme plus ancien et fondamental que ceux invoqués par le patient, et qu'il a refoulé dans son inconscient. Il faut dès lors soigner par la parole, par une cure analytique, qui neutralise ce traumatisme pathogène en le ramenant à la conscience. Les neurologues et les psychiatres raisonnent eux en matérialistes, mais aussi conformément au dualisme cartésien : la cause de cette mélancolie noire est un désordre corporel et cérébral, qu'il faut corriger par des substances chimiques, des médicaments antidépresseurs.

Longtemps a régné une guerre ouverte entre ces deux systèmes de pensée, entre ces deux manières d'interpréter et de soigner les dépressions nerveuses. Le dualisme cartésien peut émettre une hypothèse qui permet de réconcilier les deux camps : même si la cause première de la maladie est un traumatisme psychique, il n'est perturbateur que parce qu'il agit d'abord sur le corps, dans lequel il crée un désordre qui, dans un second temps, et parfois beaucoup plus tard, va produire en retour une altération de l'esprit.

On comprend dès lors qu'il faille, pour soigner une dépression, à la fois agir sur le corps et sur l'esprit, et évidemment d'abord sur le corps, par des médicaments, parce que c'est plus facile et rapidement efficace, et ensuite sur l'esprit, pour éliminer la cause profonde et éviter les rechutes.

Philippe van den Bosch, La philosophie et le bonheur, Édition Flammarion