Se laisser aimer

Être aimé est plus fondamental qu'aimer. Il est curieux d'affirmer cela alors qu'on insiste tellement sur la grandeur de l'amour et sur la nécessité de le semer autour de nous. Jésus n'a-t-il pas fait du grand commandement de l'amour le premier de ses commandements ? Et n'est-ce pas l'évangéliste saint Jean qui dit que Dieu est Amour ; il est d'abord cela et toute son action est dirigée par l'amour.

Pourtant, par quoi sont baignés les premiers instants de notre vie sinon par des témoignages d'amour. La mère qui reçoit son bébé naissant dans ses bras lui prodigue déjà un premier message d'amour. L'enfant ne peut lui répondre. Il n'est pas encore assez conscient pour le faire. Mais s'il ne recevait pas ces marques d'amour, ces baisers frénétiques, ces élans chaleureux qui caractérisent tout premier contact avec un nouveau-né, il s'en ressentirait toute sa vie. Les psychologues nous expliquent comment quelqu'un qui n'a pas reçu sa portion d'amour au matin de son arrivée peut mener une existence froide, distante, sans amour.

Avant de donner de l'amour, nous devons en recevoir et se savoir aimé est une aspiration foncière du coeur humain. On sait à quelles hauteurs peuvent atteindre des personnes qui se savent aimées dans leur milieu. On connaît les prouesses de dépassement auxquelles se livrent des enfants qui sentent la chaleur de l'amour de leurs parents. Et que dire de ces vieillards qui incarnent la sérénité et le calme du soir autour d'eux parce qu'ils se sentent véritablement aimés. Ils n'ont pas l'impression que leur existence est inutile : leur solitude est richement meublée.

Se laisser aimer: voilà une conséquence de tout cela. Il y a des êtres rébarbatifs à l'amour. Ils se font une carapace difficile à percer. Généreux, actifs, donnés même, ils ne se laissent pas infiltrer facilement par un amour qui les poursuit. Il faut bien le dire : se laisser aimer est peut-être plus difficile que d'aimer. Pourquoi ? Sans doute parce qu'on ne veut pas être redevable aux autres du bonheur qu'ils nous prodiguent.

Si l'on veut que l'amour fleurisse autour de soi, pourquoi ne pas faire comme l'enfant, se laisser aimer sans fausse honte et avec joie : d'abord et avant tout par Dieu lui-même.

Mgr Jean-Guy Hamelin, 10 mars 1999